10 décembre, 2005

Le gâteau

« Il faut des œufs, du sucre, de la farine et du lait, annonça Héléna à son petit garçon. Et du sucre vanillé. Va me chercher les pots pendant que je lave les cerises ».

Sacha opina de la tête et approcha une chaise d’un placard afin d’y monter dessus. Il se hissa tant bien que mal et sortit plusieurs bocaux de céramique blanche où étaient marqués les noms des différents ingrédients. Farine et sucre se dessinaient en lettres noires émaillées sur fond blanc cassé.

Je sens le sucre. Hmm… La porte est grande ouverte. J’y vais ? J’ai un peu peur de me retrouver prisonnier, comme la dernière fois. Tant pis. Je leur échappe toujours. J’y vais.

Héléna prit le petit panier rempli de cerises mûres posé sur le pétrin en merisier du hall d’entrée. Elle chassa une mouche qui s’approchait d’elle et retourna dans la cuisine, où elle déversa le contenu de son panier dans l’évier. Elle fit couler de l’eau et nettoya soigneusement chaque cerise avant de les mettre dans un bol.

C’est rempli de fruits. Pommes, Bananes… Mais… Que vois-je… Des cerises ! C’est délicieux, les cerises.

« Il faut combien de temps pour le faire cuire, maman ? demanda Sacha tout en l’observant.
- Pas longtemps, chéri. Une demi-heure maximum. Il fait une de ces chaleurs… Et il va falloir en plus allumer le four », soupira Héléna.

Les yeux du petit garçon brillèrent de convoitise. Il prit une chaise, et s’assit.

« Eh ! Tu peux aller chercher le plat du four, si tu veux. Ne reste pas les bras croisés, protesta Héléna en souriant.
- D’accord ! s’exclama Sacha en sautant de sa chaise. Et je peux commencer à tout mélanger ?
- Si tu veux. »

Du bois partout. J’aimerai trouver un endroit tranquille, j’ai chaud. Il fait si chaud… Je n’ai plus faim. J’aimerai trouver un endroit calme. Oh… Par là. Un coin d’ombre. Je vais voir. J’aimerai trouver un endroit calme. J’ai peut être encore faim. J’aimerai bien avoir une cerise.

Le petit garçon prit un gros saladier et cassa trois œufs à l’intérieur. Héléna surveillait les opérations en souriant. Elle rajoutait par moment un ingrédient, tout en laissant faire Sacha, comme un grand. Elle commença par allumer le four, afin de le préchauffer. Au bout d’un quart d’heure, il s’écria :

« Regarde, j’ai fini !
- Presque, répondit sa mère.
- Il manque quelque chose ?
- Tu dois mettre du beurre au fond de ton moule, si tu ne veux pas que ton gâteau reste collé aux parois. Le four doit être chaud, maintenant.
- J’y vais. »

Je vois un tunnel. Il fait sombre. J’ai envie d’aller voir. Je vais aller voir. Plus loin…

Sacha monta sur la pointe des pieds et attrapa le petit pot de beurre qui se trouvait perché dans le réfrigérateur. Il se lava ensuite les mains encore une fois, sous le regard amusé de sa mère, et s’enduisit les mains de graisse avant de frotter l’intérieur de son plat. Sacha avait les joues rouges, il s’appliquait tellement en badigeonnant le plat de beurre qu’il sortait sa minuscule langue rose. Ses yeux brillaient de plaisir. C’était son premier gâteau.

Encore plus loin…

« C’est très bien comme ça, chéri. Attention, je verse les cerises et la pâte dessus, maintenant.
- D’accord, maman. »

Sa mère renversa ensuite le bol de cerises à l’intérieur du moule. Elle fit ensuite glisser la pâte onctueuse sur les cerises pour les recouvrir entièrement.

« Mmhhh… Déjà ça sent bon, dit Sacha en battant des mains pleines de beurre.
- Doucement, tu vas en mettre partout ! Tu pourras racler les bords du plat avec tes doigts après, si tu veux, proposa Héléna en riant.
- C’est vrai ? D’accord ! C’est trop bon, la pâte à cerises ! s’exclama Sacha.
- Mais après, tu files au bain.
- Oui, maman. Et quand je sortirai ce sera prêt.
- Peut-être… » sourit sa mère.

Toujours plus loin… Toujours… toujours…

Héléna enfourna le plat et mit la minuterie du four. Trente cinq minutes pour commencer. Elle verrait bien ensuite. Cela devrait suffire, pour un clafoutis.

Il fait chaud quand même dans cet endroit. Vraiment chaud. Et très sombre. La nuit est tombée d’un seul coup ce soir. C’est étrange. Je ne me sens pas très à l’aise. Ce couloir est étroit. Et chaud.

Héléna entreprit de nettoyer le plan de travail de sa cuisine pendant que Sacha se léchait les doigts qu’il ressortait du saladier où il avait fait son gâteau.

«Je te l’ai bien nettoyé, regarde, même pas besoin de faire la vaisselle ! dit le petit garçon, les lèvres maculées de pâte poisseuse.
- Merci mon grand ! répondit Héléna. Je vais quand même la faire, juste pour que ça brille encore plus. File au bain !
- J’y vais ! » répondit Sacha en courant dans la salle de bain, à l’autre bout du couloir.

J’ai la tête qui tourne. J’ai l’impression d’étouffer. Finalement cet endroit n’est pas si bien que ça… Je vais aller ailleurs. Mais je ne vois plus rien… Il fait tellement sombre. Et cette chaleur est insupportable. Je veux retourner dehors. Tiens, ça sent les cerises. J’ai chaud… J’ai si chaud… Tout est noir. J’ai peur. Je veux partir. Je vais continuer de marcher, par là.

(…)

La paroi de cet endroit est brûlante. Mes ailes collent. Je dois sortir au plus vite. Je suis obligée de courir pour ne pas me brûler les pattes. Et ça sent les cerises, encore. Une odeur de vanille. Ça sent bon. Il faut que je sorte. J’ai chaud. Je dois sortir. Cette chaleur est insupportable. Je veux retourner dehors… Mes pensées se brouillent. Il fait si chaud… Et j’ai peur. Des cerises. Des cerises… Je veux retourner dehors. Je n’y vois rien. Je continue de courir, encore et encore… Le sucre m’enivre. Je veux sortir. J’ai chaud. Ma tête tourne, je crois qu’elle est sur le point d’exploser. J’ai chaud. Des cerises…Je crois que j’étouffe. Il y a trop de bruit.

Héléna poussa un hurlement et ouvrit vivement la porte du four. Le clafoutis était déjà gonflé, il commençait juste à prendre une jolie couleur dorée. Les cerises et la vanille enveloppaient la cuisine d’un arôme sucré.

« Maman ! Pourquoi tu cris ? » demanda Sacha en entrant en trombe dans la cuisine, alarmé.

Héléna ne répondit pas et resta là, incrédule, à observer l’intérieur de son four.

« Mais pourtant je l’ai vu… bredouilla t-elle en scrutant le gâteau.
- Tu as vu qui ? demanda le petit garçon.
- Ce n’est rien, marmonna Héléna en refermant la porte du four. Ne t’inquiète pas. Tu peux retourner dans ta chambre. Je t’appelle dès que c’est prêt !
- D’accord, maman. »

Sacha partit et Héléna resta plantée là à observer le clafoutis. La porte du four refermée, la chaleur tournante de l’appareil se remit en route. C’est alors qu’elle la vit. Minuscule, brillante, et noire.

J’ai l’impression d’avoir été secouée, en haut, en bas. J’ai chaud. Je cours, toujours, pour ne pas brûler. Ça sent encore les cerises. L’odeur est de plus en plus forte, de plus en plus sucrée. J’ai envie de cerises. J’ai chaud. Je dois sortir d’ici. Je ne pourrai pas goûter les cerises. J’ai chaud. Je veux retourner dehors. Cette chaleur est insupportable. Comment puis-je faire ? Je ne sais pas. Je continue de courir, pour ne pas brûler mes pattes. Mes ailes collent. J’ai chaud. Ça sent les cerises et je vais mourir. Je ne peux plus lutter. Je ne peux plus courir. Mes ailes collent. Mes pattes fondent. Je vais mourir. J’ai chaud. Je ne pourrai pas goûter les cerises. Ça sent bon. Voilà, c’est finit.

C’était une mouche, prisonnière de la double porte vitrée du four. Elle ne pouvait pas sortir et restait là, minuscule, brillante et noire, dans sa prison de verre. Héléna regarda ses pattes avant se frotter l’une contre l’autre. Ses ailes vibraient de temps à autre. Elle ne semblait pas souffrir, pourtant. Héléna, pleine de pitié, la regarda jusqu’au dernier moment tenir bon, aller d’un bord à l’autre de la porte du four en courant pour ne pas se brûler. Ce n’est qu’une mouche ! pensa t-elle. Une petite mouche. Une toute petite mouche…

Jusqu’au dernier moment, elle fut avec elle. Elle souffrait pour elle. Et, tandis que l’air de la cuisine se parfumait de cerises et de vanille,un parfum entêtant, la petite mouche s’écroulait enfin, les pattes recroquevillées sous son petit corps, les ailes froissées.

Elle était morte.

Aucun commentaire: