30 novembre, 2005

Parasites

L'air était sec, la nuit venait juste de tomber. Près d'un grand sapin, une mère appelait son enfant, inquiète. Voilà plusieurs heures qu'elle le cherchait, et l'angoisse se lisait dans ses yeux bruns. Poussant un soupir, elle se décida à attendre encore un peu. Le temps passait. Le vent soufflait fort, la forçant à se cramponner à une branche qui se trouvait à sa portée. Elle appela encore. Encore. Son cri se répercutait à l'infini.

Pourtant, elle n'était pas seule. Le bruit incessant du va et vient autour d'elle l'agaçait au plus haut point. Pas une âme charitable pour l'aider… Elle avait perdu son enfant. Les minutes défilaient, longues, très longues.

Il ne reparaissait pas. Hurlant à nouveau, regardant tour à tour d'un air hagard les ombres qui passaient près d'elle, elle se mit à courir pour ne plus penser. Courir, appeler, se cramponner lorsque le vent violent menaçait à tout instant de la faire tomber… Elle ne comprenait pas comment cela avait pu arriver. Mère de famille nombreuse, ses enfants comptaient pour elle comme la prunelle de ses yeux. Son partenaire actuel allait sans doute la frapper. Serrant les dents, comme à chaque fois, elle s'efforçait dans ces moments-là de ne penser à rien. Où plutôt si : à protéger ses enfants. Qu'ils ne se doutent de rien, qu'ils ne sachent surtout pas la vérité. La fidélité n'était pas pour elle, elle le savait depuis longtemps. Insatiable d'amour, de tendresse, boulimique d'enfants… Elle sourit malgré elle.

Au bout d'un temps infini, ses yeux s'embuèrent de larmes. Elle prit lentement le chemin du retour, se promettant de revenir tôt le lendemain matin. Secouant la tête, ses larmes tombèrent aussitôt, emportées par le vent. Des petites têtes brunes se pressaient les unes contre les autres quand elle fut en vue de son domicile. Ses enfants étaient là, scrutant son visage, cherchant une ombre d'espoir. Elle réprima un sanglot, puis sourit courageusement. Eux non plus n'avaient pas eu de nouvelles. Leur frère ne reviendrait pas. Pas pour ce soir… Les enfants l'entourèrent, l'embrassèrent, et l'installèrent confortablement. Reconnaissante, elle leur promit de repartir le lendemain, de ne pas abandonner. Garder espoir, quoi qu'il arrive… Elle se servit un verre, but avidement, étanchant une soif imaginaire. Mais elle devait reprendre des forces. Tout ce qu'elle buvait avait le goût du sang, mais elle ne se plaignait pas, au contraire. C'était bon. Le repos de la nuit lui serait sans doute bénéfique, et demain sera un autre jour. Ses enfants, près d'elle, lui tenaient chaud. Ils se chamaillaient un peu, se griffaient, se battaient, mais elle n'intervint pas. Elle les regarda avec tendresse, puis sursauta lorsque retentit un bruit caractéristique.

Tremblements.

Il rentrait.

Il approchait à pas lourds, gras, titubant presque. Les enfants se turent, et dévisagèrent leur mère avec inquiétude. Celle-ci se prépara à affronter la tempête. Un mauvais moment à passer, rien de plus… Les enfants détalèrent. Lorsqu'il se présenta près d'elle, la mère déglutit péniblement. Elle esquissa un pauvre sourire. Elle croisa son regard, dur, froid. Elle détestait son regard. Il savait. L'enfant était partit chercher une course, et manifestement il n'était pas rentré depuis plusieurs heures. Elle se demandait comment il avait bien pu savoir, l'enfant n'étant pas à lui, il s'en souciait rarement.

Tremblements.

Son compagnon se précipita sur elle et la renversa sauvagement. Elle poussa un cri, essayant de se protéger en entourant sa tête de ses bras. Le choc, mêlé à la fatigue, eut raison d'elle. Elle perdit connaissance.

Lorsqu'elle se réveilla, elle était étendue sur le sol, et deux de ses filles lui caressaient le visage en l'appelant. Un violent mal de tête l'envahit. Elle leur sourit, et se mit péniblement debout. Examinant rapidement les lieux, elle se rendit compte qu'il était parti. Probablement pour se saouler avec les autres, comme d'habitude. Mais peu lui importait. Elle prit ses filles dans ses bras en murmurant des mots tendres, puis les incita à aller se reposer un peu. Les petites lui obéirent de suite, heureuse de voir leur mère redevenir elle-même. Elles rejoignirent en courant le reste des enfants, qui n'arrêtaient pas de se chamailler.

La mère soupira, s'épousseta, et gagna sa chambre. Elle dormit à poings fermés jusqu'à l'aurore. Un bruit la fit sursauter, et elle se dressa d'un coup sur son séant en regardant autour d'elle.

Tremblements.

Il n'était pas là. Soupir de soulagement. Se souvenant de son enfant perdu comme on reçoit un coup dans le ventre, elle se leva à toute vitesse en allant dans la nursery. Tout le monde était là. Elle esquissa un sourire, et la marmaille accourut. Effusions de baisers, tendresse échangée… Elle ne s'en lassait pas. Cependant, il fallait bien continuer les recherches… En donnant mille recommandations d'usage, elle gagna l'extérieur rapidement.

Le vent soufflait toujours, plus violemment que la veille. Elle avançait, effectuant le même trajet, appelant son enfant de plus en plus fort. Le vent couvrait ses cris, mais elle ne désespérait pas. Il fallait qu'elle le retrouve. Le pauvre petit devait être mort de peur, avec tout ce monde. Effectivement, autour d'elle, cela circulait, criait, donnait des ordres… Le bruit parfois était assourdissant.

Bousculade.

Elle trébucha sur une branche, se rattrapa de justesse. Jetant un regard noir sur celui qui l'avait poussé, elle repartit. Un rire retentit. N'y prêtant pas attention, elle continua, scrutant les alentours fébrilement, cherchant le moindre indice qui la mettrait sur la voie. Elle appelait, criait, hurlait… Sans réponse. Découragée et lasse, elle se laissa choir dans un coin. Des larmes balayèrent son visage. Soudain, elle aperçu son compagnon au détour d'un chemin. Il ne la vit pas, trop occupé à courtiser une charmante créature. Réprimant un frisson de dégoût, elle prit le chemin opposé de son futur ex-compagnon. L'image de ses enfants s'imposa à son esprit. Pâle sourire. La vision de son pauvre petit perdu lui redonna courage, et elle repartit de plus belle, déterminée à le retrouver.

Le vent soufflait, les branches des arbres pliaient dangereusement vers le sol. Se cramponnant, la mère avançait toujours. Elle ne pouvait plus appeler son enfant, le bruit alentour couvrant ses cris. Elle se contentait donc de prêter une attention particulière à tout ce qu'elle voyait autour d'elle, recherchant le petit visage familier.

Soudain, l'air se raréfia. Elle éprouva un étrange vertige, se laissa choir sur le sol, le visage entre ses bras, en un réflexe d'automatisme. A présent, le vent hurlait, le sol se mit dangereusement à trembler, trembler encore… Poussant un cri de terreur, la mère se cramponna de toutes ses forces à une branche… quand elle l'aperçut. Ses yeux s'agrandirent de soulagement durant un court instant. Son enfant était là, le visage strié de larmes, sale et misérable. Il était là à quelques pas d'elle, mais ne la voyait pas. Il s'était enroulé autour d'une branche, une expression de terreur indescriptible sur son visage. Il ne bougeait pas, attendant que la tempête passe.

La mère hurla son prénom, voulu faire un pas en avant dans sa direction, mais peine perdue. Le vent n'était pas décidé à la laisser avancer ; au contraire, il étouffa ses cris, la renversa et la fit rouler sur elle-même. En un effort ultime, la jeune mère s'accrocha désespérément à une autre branche, hurlant le prénom de son fils. Lui ne la voyait toujours pas. Terrorisé, il fermait les yeux, se cramponnait, puis portait son regard sur l'étrange ciel qui s'obscurcissait de plus en plus.

Tremblement de terre.

Ecarquillant les yeux de surprise, la mère vit s'abattre un orage tel qu'elle n'en avait jamais vu dans sa courte vie. Hurlant à la mort, elle chercha son fils, qui fut balayé en une seconde. Et tout commença.

La terre bougeait, vibrait, empreinte de colère. Le vent soufflait encore et toujours, tel un rire sinistre se moquant de tous les êtres vivants. L'air se raréfiait, tandis qu'une pluie torrentielle s'abattait à son tour, complétant ainsi le plus sinistre des tableaux.

La dernière vision qu'eut la mère avant de perdre son fils, fut une écume colorée d'un rose pastel. A ce moment précis, son visage exprimait une telle stupéfaction qu'elle en oublia presque sa mort prochaine. Tout autour d'elle était sombre, avec cette pointe de rose qui semblait l'envelopper tout entière. Un parfum flottait, suffoquant, insupportable. Résignée, la mère disparut dans les eaux profondes qui balayèrent tout sur leur passage.

Presque noyée.

Elle essaya bien de résister un petit moment, mais ce fut pour constater que le paysage tout entier avait été englouti. Alors, en un ultime soubresaut, elle se laissa emporter par l'eau parfumée. Le poison se répandit vite en elle, pénétrant les moindres cellules de son corps. Elle ne mourut pas noyée, quelques instants plus tard, mais empoisonnée par une tempête à la chatoyante couleur rose. Une couleur innocente, meurtrière, au doux parfum entêtant et pénétrant. La jeune mère connaissait l'expression "la vie en rose". Les yeux fermés, elle eut son dernier sourire en pensant que la mort n'était pas noire, mais rose, comme la vie.

* * *

Remplie de mousse, l'eau de la baignoire menaçait de déborder. Riant de plaisir, Tom appelait sa mère. Celle-ci accourut, en examinant l'heure à sa montre. Dix minutes s'étaient écoulées.

- Il est temps de rincer, maintenant, petit Tom, sourit-elle. Et dans une semaine, il faudra recommencer le traitement. Et j'espère que c'est bien la dernière fois que tu me ramènes ça à la maison !

Joignant le geste à la parole, elle se saisit de son enfant et lui aspergea ses beaux cheveux bruns d'eau claire. Tom la laissait faire. Il aimait l'eau, il aimait le doux parfum de vanille qui enveloppait sa mère. Il aimait sa mère. Il la regardait tendrement, et elle déposa en riant un gros baiser sur sa joue mouillée.

Tom ne remarqua pas les petites bêtes noires qui coulaient avec le shampoing rose et qui disparaissait avec l'eau usagée. Cela n'avait pas d'importance, de toutes façons. Les poux étaient morts.

2 commentaires:

mic a dit…

Tu as vraiment l'art de mener vers fins déroutantes. On le sait pourtant que ça se terminera de manière d'étonnante. Mais on se fait avoir malgré tout. Des poux ! si je m'y attendais :)) après le gloss pourtant... S'attendre à tout et se faire étendre à chaque fois.

Une fan du Petit Prince a dit…

Merci Mic :)
Cette histoire, je l'ai écrite voilà trois ans, et je l'avais dans ma tête depuis toute petite... Le gloss par contre, c'est tout neuf !