21 mai, 2006

Le Livre

La voilà, cette boutique si longtemps chérie. Elle s’arrête longuement devant la devanture, en dévore chaque coin, avant de se lancer dans la contemplation des œuvres paradant, orgueilleuses, en plein milieu, sur des tapis si fin qu’on dirait des tapis précieux, fait de soie ou de brocart.

Elle n’ose pas rentrer tout de suite, soudain timide, se mordillant les lèvres, indécise. Puis, dans un effort ultime, elle ose, avance un pied, puis l’autre, pousse la porte carillonnante et lance un fameux « Bonjour ! » à la personne sans âme qui se trouve à l’accueil, inconsciente du trésor dont elle est l’unique gardienne.

Elle continue d’avancer, mais s’arrête bientôt, ivre soudain de cet amas de richesse, qui s’étale là, à perte de vue, sur des étagères jaunies un peu poussiéreuses. Elle ne sait où donner de la tête, regarde à droite, puis à gauche, en haut, puis en bas, cherchant la perle au milieu de ces huîtres baignant dans la nacre.

Au bout de plusieurs minutes seulement elle ose s’approcher, elle ose les frôler, avant de les toucher à pleines mains. Elle aime caresser la peau des livres. Cette peau lisse, froide, rêche ou douce, en noir et blanc, souvent en couleur. Les titres gros et gras l’interpellent toujours, ils illuminent ses yeux d’étoiles infinies, de clignotements intempestifs. Elle tremble un peu lorsqu’elle se risque, enfin, à en prendre un en main, pour le secouer doucement, comme pour en faire tomber de la poussière vive, et elle rit de se voir si bête, l’enfant, elle rit de l’avoir dans ses mains, si petit, si menu, mais parfois grand, épais, dominateur, toujours puissant, un mâle, enfin.
Les lettres se dessinent comme de véritables œuvres d’art, la police changeante, le dessin pénétrant. Elle ne peut s’empêcher d’entrouvrir sa bouche qu’elle a rouge de plaisir, absorbée dans la contemplation de cet objet si pur, longuement pétri par l’auteur, un pain de luxe, assurément.

Elle le presse contre son cœur, parcours la quatrième de couverture avec attention, vertueusement, comme une épouse dévouée à la toute puissance de son homme, soumise, d’amour éperdue.

En se décidant pour l’un d’eux, fière concubine, elle passe à la caisse, riante, les joues cramoisies, maîtresse enfin de cet objet si convoité, qui lui chatouille la paume des mains. Et c’est là enfin qu’elle révèle sa possession, dans un sentiment grandissant de domination envers ce male, qu’elle s’apprête à dévorer tout entier, une fois allongée sur son lit, chez elle… jusqu’au prochain.

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