22 mai, 2006

Les coquelicots.

Tout arrive si vite qu’elle n’a pas le temps de voir son agresseur. Légèrement ahurie, un peu tremblante, elle pousse à peine un léger cri, malgré la douleur. Au même moment, son pied se tord, son corps se dérobe. Le coup de poing la cueille au bord de la lèvre, sur le côté gauche. Ou serait-ce le droit ? Bordel, on s’en fout !

Elle se retrouve là, par terre, la culotte baissée, la gueule éclatée, et elle ne pense à rien d’autre qu’à un champ de coquelicots. Un champ immense, parcouru d’une brise douce, une brise parfumée comme au petit matin d’été, quand le soleil vient juste de se lever. Elle a mal. Elle a froid. Elle sent de l’air glisser entre ses jambes, et ça lui fait l’effet d’un glaçon. Elle a la chair de poule. Un second coup de poing lui enfonce la paupière, la droite, cette fois. Son œil pleure tout seul, sa vue se brouille. Elle n’a même plus la force de pousser un cri. Elle voit des coquelicots, du rouge, partout, tout autour d’elle. Ce goût métallique lui rappelle l’eau qui s’échappait du vieux robinet rouillé du jardin, dans l’ancienne maison de son grand-père, pas loin d’ici.

Elle se revoit, accroupie, les genoux crottés de terre, entrain de rire aux éclats, pendant que son oncle fait le pitre, juste à côté d’elle, pour l’empêcher de boire. Elle est là, riant tellement qu’elle en a mal aux côtes. Le goût métallique s’intensifie soudain, et elle avale, elle avale. Ce n’est plus de l’eau, c’est du sang, le sien, qui continue de couler, qui menace de l’étouffer. Le dernier coup de poing s’abat sur ses seins, les aplatissant sèchement. Elle ressent une douleur diffuse, horrible, dans sa tête, son ventre, ses reins. Ses cuisses ramollissent, elles se dérobent sous elle, pauvres spaghettis mal cuits. Elle se revoit courir dans le champ de coquelicots, sa casquette s’envole, son oncle la ramasse, s’enfuit avec, et elle, elle rit toujours en lui courant après, de plus en plus vite, pour le rattraper. Elle l’appelle par son nom, le supplie, les yeux pleurant, tellement elle se tenait les côtes de rire.

Une main la pénètre violement, elle se détache, pense au champ rouge, des coquelicots, du vent, de l’eau, des coquelicots, du vent, de l’eau. Du vent, de l’eau… Des coquelicots… Sa vue se brouille, les larmes coulent, cette fois encore, mais de douleur. Son oncle ralentit le pas, se retourne, la prends dans ses bras et l’élève haut dans le ciel, d’ailleurs, il est vraiment bleu, le ciel, si bleu qu’il en est irréel. Elle lève les bras pour toucher la voûte céleste, grogne un peu pour imiter le bourdonnement sourd d’un moteur d’avion, avant de rire à nouveau, à gorge déployée. Son oncle sourit aussi, une lueur malicieuse dans les yeux.

La main la fouille, profondément, elle a l’impression qu’on vient d’enfoncer un couteau et qu’on tourne, on tourne, sans pourvoir s’arrêter. Son oncle la fait tourbillonner, là-haut, près du ciel, il la fait monter puis descendre à une vitesse folle, les coquelicots virevoltent autour d’elle, tâche écarlate dans l’azur, lointain. Elle entend distinctement le grognement, maintenant, et ce n’est plus elle, non, c’est lui, cet homme, cette bête immonde, qui est sur elle, son souffle près de son cou, ses mains sur ses seins meurtris. Le couteau tourne en elle, l’écorchant, la brûlant, l’éreintant. Le couteau glisse mal, fait des va et vient meurtriers, une main se plaque sur sa bouche, écrasant un peu plus ses lèvres où les plaies sont ouvertes, à vif.

Le champ de coquelicots disparaît peu à peu de sa vision, et elle lutte, oh oui elle lutte, pour le faire revenir, pour échapper à ce monstre, là, en elle, qui va, qui vient, grognant, sans fin. Elle se décide à ouvrir les yeux. Elle le voit, sur elle, vision cauchemardesque, vision d’horreur. Ses traits sont déformés par la rage de ne pouvoir la posséder. Il croise son regard, la foudroie d’un battement de cil avant d’enfoncer profondément ses ongles dans sa chair. Elle, a ses yeux agrandis d’épouvante en reconnaissant son agresseur, cherchant à comprendre.

Les coquelicots reviennent à sa mémoire furieusement, emplissant les moindres recoins de ses souvenirs, imprégnant chaque parcelle de son corps de cette couleur rouge, saignante. Il est là, en elle, mais il ne rit plus, son visage est tordu par la haine, le désir, l’impuissance. Il est là, pétrissant ses seins, enfonçant ses ongles, soufflant bruyamment dans son cou, d’un souffle rauque de taureau, humide, chaud, putride, asphyxiant.

Et tandis que le couteau la pénètre, en bas, il en sort un vrai, plus haut, tranchant ainsi sa gorge blanche de pucelle, faisant frémir d’un gargouillis sanglant la plaie béante. Le rouge vire au noir. Elle ne voit pas son oncle essuyer la lame, avant de la replonger, encore et encore, dans ce même trou noir, avant de l’abandonner, déculottée, agonisante, au bord du chemin de terre où s’étendait, des années auparavant, un champ de coquelicots, rouge flamboyant.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

pfiou ... Que dire sur ça ? J'en reste vraiment bouche bée ... C'est tout simplement horrible. Et très bien construit. Le mélange Avant/Aujourd'hui. Les mots sont vraiment iben choisis comme quand il dit qu'il la fiasait tourbillonait quand elle était petite on comprends bien qu'il l'a fait tourbillonait aujourd'hui mais d'une autre manière. Le texte est très bien écrit mais très .. touchant. Comme quoi il ne faut faire confiance à personne même pas à ses roches ...

Une fan du Petit Prince a dit…

Merci Mademoiselle :)