28 février, 2007

Histoire d'un clown triste

Pour un concours de nouvelles.
Impératif ; doit faire moins d'une page et insérer les mots suivants : abricot, amour, bachi bouzouk, bijou, bizarre, chic, clown, mètre, passe-partout, valser.


* * * * * * * *

Elle tressaute, dans son sommeil. P’tit Gus l’observe d’un œil critique en croquant un abricot, petit bout par petit bout.

- Elle est mignonne, hein ? demande Grand Gus en caressant la petite boule de poil. Un véritable amour.

Le chaton émet un miaulement chétif et passe une patte sur par-dessus sa tête, gênée par le bruit des voix.

- Elle s’appelle comment ? répond P’tit Gus. C’est vrai qu’elle est toute mignonne ! J’aime bien sa couleur un peu passe-partout.
- La couleur, on dit que c’est une écaille de tortue. Elle s’appelle Bachi-bouzouk.
- Mais ce n’est pas un prénom de femelle, ça ! proteste le garçonnet.
- Il est vrai. Mais tu ne le trouves pas rigolo ?
- Un peu bizarre quand même, Bachi-bouzouk. Et puis c’est un prénom de chat, pas de chatte. Pourquoi pas Tigresse, Veloutée, Betty Boop ou Croquette ?
- Ce serait trop facile. Regarde bien son pelage. Elle a une étoile blanche sur le front, on dirait un petit bijou, c’est vraiment ravissant ! Et puis elle est si douce qu’on la mangerait.
- Je peux la prendre dans mes bras ?
- Bien sûr. Mais fait attention.
- Oui, Papa, répond P’tit Gus.
- C’est un bébé : il ne fait pas faire de mal aux bébés.
- Oui, Papa.
- Et si tu promets d’être sage, elle est pour toi.
- Oh, c’est vrai ? Chic, chic, chic ! s’exclame P’tit Gus, débordant de joie. Bachi-bouzouk est à moi ! Bachi-bouzouk est à moi !

Son père l’observe et sourit. Le petit clown ne mesure pas plus d’un mètre trente de hauteur. Si pur, si candide. Comme tous les enfants, un peu sale, un peu débraillé. Son sourire devient carnassier.

- Dis Papa ?
- Oui, P’tit Gus.
- Je dois faire quoi pour être sage ?
- Viens, P’tit Gus, approche. Je vais tout t’expliquer. Viens valser dans la salle de bain avec Papa.

04 février, 2007

Toi émoi.

Comme une mouche posée sur ta bouche
Petit grain de peau chocolat
Vois, tout près de toi je me couche
Comme une mouche posée sur ta bouche
Que d’un doigt j’effleure et je touche
Amoureux fou de ta peau, là :
Comme une mouche posée sur ta bouche
Petit grain de peau chocolat.

30 janvier, 2007

Extrait de "Vue d'enfant, vie d'adulte"

Voilà, il recommençait. Pourtant je faisais tout pour ne pas entendre. Mes mains plaquées sur mes oreilles, je me tenais à genoux, dans ma chambre, fermant les yeux très forts et priant ma bonne étoile. Je l’entendais, pourtant. Il recommençait.

Je devais prendre mon courage à deux mains… Malgré la peur qu’il m’inspirait. Je décidais alors d’aller sans faire de bruit, le plus doucement possible, près de la rampe du haut de l’escalier, pour l’écouter.

Des raclements. De la vaisselle brisée, suivie de cris rauques. J’avais une peur terrible d’apercevoir l’irréparable, et pourtant, oui pourtant, mes yeux étaient grands ouverts. Je n’avais pas envie, pas vraiment, mais je devais voir… Je devais le voir pour m’en rendre compte. Il allait peut-être se faire mal, il allait peut-être dormir sur le sol, comme ça lui arrivait parfois.

La maison était vide, hormis Papa et moi. A pas de loups, je descendis l’escalier de bois, tout doucement pour ne pas le faire craquer. Je l’entendais parler tout seul. Ses mots étaient saccadés, ses phrases indistinctes. On aurait dit qu’il avait quelque chose dans la bouche. J’ai pensé à du coton. Comment pouvait-il avaler du coton ? Et puis j’ai compris. Il n’y avait pas de coton, sa voix s’était transformée avec l’alcool et les médicaments. Pâteuse, un peu étouffée, et plus grave qu’à l’ordinaire. Ce n’était pas la voix de mon Papa, ce n’était pas la même voix que d’habitude. Pourtant, elle y ressemblait étrangement…

En bas de l’escalier, toujours à pas feutrés, j’avançais méthodiquement, pas à pas, les jambes flageolantes, le cœur cognant fort dans ma poitrine. Les bruits de verre continuaient ; ça clique tiquait par saccade, et puis soudain, un rire dément se fit entendre. Le serpent de la peur glissa le long de ma colonne vertébrale, et un goût de bile me vint dans la bouche. Je plaquais mes mains sur mes lèvres, les deux, très fort. Et je continuais d’avancer. Je longeais le mur crépis blanc, les yeux remplis de terreur, m’attendant à chaque instant à trouver mon Papa agonisant.

Je le vis soudain, éclat de cauchemar.

Allongé sur les carreaux de la cuisine, nu, la tête renversée sur le côté, presque sous la table. Il essayait de tourner son visage et de se relever mais n’y arrivait pas. Il fouettait l’air de ses bras, tentant désespérément de se mettre debout. Et il riait, riait, à gorge déployée. Quand il ne riait pas, il mâchait des mots indigestes, la bouche cotonneuse grande ouverte, un filet de bave coulant sur son menton, l’haleine empestant l’alcool et les gitanes. Autour de lui, de la vaisselle cassée était éparpillée, créant une auréole de porcelaine de part et d’autre de son visage. Il ne semblait pas s’en soucier, il continuer de fouetter l’air de ses bras, parfois de ses jambes, et sa nudité formait un tableau tellement grotesque que ma peur disparue, laissant place à un profond sentiment de colère.

Je me précipitais vers lui en hurlant :

« Papa ! Mais qu’est-ce que tu fais ? Tu es malade ! Vas dans ton lit !
- Bé… Dou… ? ‘Ai cass…ssé… la vaièlleeeee… Les… ailletteeeees sont… cass…ssées…
- Je vois que les assiettes sont cassées ! Mais s’il te plaît, va te coucher ! S’il te plaît !
- ‘E… peux… pas, Bé…Dou… »

J’allais vers lui, et bien que son corps rempli d’alcool me répugnait, décidée, je le tirai par le bras pour l’aider à se relever. Peine perdue. Il était trop lourd pour moi. Je devenais rouge à force d’essayer, et Papa finissait par rire de son rire de dément avant de retomber lourdement sur le carrelage, s’enfonçant par ci par là de minuscules morceaux de porcelaine dans son dos nu.

Ma tête bourdonnait, je pensais à toute allure. Maman, que va dire Maman ? Et si je n’y arrivais pas ? Et s’il avait avalé trop de comprimés ? Et s’il allait vomir ? Ou pire encore… Je ne voulais pas trop y penser, mais c’était plus fort que moi, tout tournait autour de moi. J’avais l’impression de tomber dans un gouffre sans fond.

Partir, partir loin… Sortir de la cuisine, se retrouver sur la terrasse, courir au fond du jardin, aller retrouver mes pigeons, prendre Noiraud, le laisser se blottir dans mon cou… Ou simplement écouter les cigales, assise, comme d’habitude, sur le tronc d’arbre coupé, avec mon livre sur les genoux. Et puis, enfin, savourer cette fin de journée de printemps qui avait si bien commencé. Oublier, en somme… Se serait si facile ! Impossible. Voilà le mot qui me trottait dans la tête. Impossible, c’est impossible d’oublier. Ce sera à jamais dans ma mémoire, noir sur blanc, coincé dans mon cerveau sans option de retour. Papa nu, affalé sur le sol, la tête entourée de vaisselle brisée, gigotant et riant comme un nouveau né, les yeux fous.

06 juillet, 2006

Ce que cache la nuit.

Le cœur chauffé à blanc, le vice se dessine dans ses yeux mauves. Là, allongée sur le sol, les jambes repliées sous son menton, les lèvres entrouvertes, elle se perd dans son abîme cérébral, savourant la moindre parcelle de rêve qui s’immisce en elle, honteuse, humiliante, tremblante, enfin. Et elle se laisse aller, douce vipère, archange maudit, dans une de ces nuits sans fin qui la ronge toute entière. Au comble des délices, elle s’endort au petit matin, des cernes sous les yeux, les mains molles, le corps fatigué, inerte. Elle sourit alors à la pointe d’aurore qui perce entre ses rideaux, heureux présage du jour nouveau, avant de sombrer dans un sommeil de plomb alourdit encore de rêves étranges, sensuels et nourrissants, au parfum tendre du souvenir.

10 juin, 2006

Sans Feuille D'Origine, aide-moi (rêves)

Ecriture Automatique, pour mon plaisir.

En voilà deux, deux nuits de suite. Elle ne sait pas pourquoi, peut-être parce que c'était trop facile... Enfin, je crois.

Le premier, fantasme véritable, ne sera pas dévoilé, ah non. Juste quelques mots, cadeaux délicieux, pour se souvenir, pour revivre ces moments d'intense émotion, ces moments où elle pensait que tout était vrai. Il en fut autrement, au réveil... C'est pourquoi elle a décidé d'oublier. Enfin... je crois. Et puis, c'est vite dit, oublier... Après un rêve pareil, comment est-ce possible ? Quand elle revoit les moindres détails, la douceur, la moiteur, l'envie, la beauté... Non, ça ne s'oublie pas. Je pense qu'elle allait un peu mieux... jusqu'à celui de cette nuit.

Le deuxième, véritable bric-à-brac, confondait les âmes. Du monde, encore du monde... Tellement de monde, à en avoir le tournis. Des personnes aimées, heureusement. Et puis elle se souvint de la pièce de monnaie. Je crois qu'elle m'a dit que c'était une pièce de 5 centimes. Une minuscule pièce, anodine, en apparence. Seulement, lorsqu'il lui a donné, il a insisté sur quelques mots... Elle a donc regardé attentivement les gravures et a déchiffré des lettres chéries, véritable baume dans son coeur meurtri. Et je me souviens maintenant de ses yeux qui pleuraient de joie, de son expression béate sur son visage, de son bonheur, enfin. Elle était si heureuse !

Quand j'y repense, elle a certainement eu tort, mais comment lui faire comprendre, sur le moment ? Ce n'était qu'un rêve... Je n'ai pas ce pouvoir-là. C'était un simple rêve, deux simples rêves, qui resteront imprimés, là, dans mon cerveau brûlant.

C'est un peu comme dit Gainsbourg :

C'est là à jamais sur le bloc
Notes de ma mémoire black
Sur white et quoique
Je fasse, ça me reviendra en flash back
Bordel, jusqu'à ce que j'en claque.

Oui, voilà, c'est un peu ça.

29 mai, 2006

Famine.

Manger la peau, la peau douce, manger la bouche, la bouche rouge, manger les yeux, les yeux soyeux, manger les mains, les mains fines, manger le cou, le cou blanc, manger la gorge, la gorge pure, manger le ventre, le ventre de velours, manger les cuisses, les cuisses entrouvertes, manger les pieds, les pieds si menus, puis manger tout, toujours.

22 mai, 2006

Les coquelicots.

Tout arrive si vite qu’elle n’a pas le temps de voir son agresseur. Légèrement ahurie, un peu tremblante, elle pousse à peine un léger cri, malgré la douleur. Au même moment, son pied se tord, son corps se dérobe. Le coup de poing la cueille au bord de la lèvre, sur le côté gauche. Ou serait-ce le droit ? Bordel, on s’en fout !

Elle se retrouve là, par terre, la culotte baissée, la gueule éclatée, et elle ne pense à rien d’autre qu’à un champ de coquelicots. Un champ immense, parcouru d’une brise douce, une brise parfumée comme au petit matin d’été, quand le soleil vient juste de se lever. Elle a mal. Elle a froid. Elle sent de l’air glisser entre ses jambes, et ça lui fait l’effet d’un glaçon. Elle a la chair de poule. Un second coup de poing lui enfonce la paupière, la droite, cette fois. Son œil pleure tout seul, sa vue se brouille. Elle n’a même plus la force de pousser un cri. Elle voit des coquelicots, du rouge, partout, tout autour d’elle. Ce goût métallique lui rappelle l’eau qui s’échappait du vieux robinet rouillé du jardin, dans l’ancienne maison de son grand-père, pas loin d’ici.

Elle se revoit, accroupie, les genoux crottés de terre, entrain de rire aux éclats, pendant que son oncle fait le pitre, juste à côté d’elle, pour l’empêcher de boire. Elle est là, riant tellement qu’elle en a mal aux côtes. Le goût métallique s’intensifie soudain, et elle avale, elle avale. Ce n’est plus de l’eau, c’est du sang, le sien, qui continue de couler, qui menace de l’étouffer. Le dernier coup de poing s’abat sur ses seins, les aplatissant sèchement. Elle ressent une douleur diffuse, horrible, dans sa tête, son ventre, ses reins. Ses cuisses ramollissent, elles se dérobent sous elle, pauvres spaghettis mal cuits. Elle se revoit courir dans le champ de coquelicots, sa casquette s’envole, son oncle la ramasse, s’enfuit avec, et elle, elle rit toujours en lui courant après, de plus en plus vite, pour le rattraper. Elle l’appelle par son nom, le supplie, les yeux pleurant, tellement elle se tenait les côtes de rire.

Une main la pénètre violement, elle se détache, pense au champ rouge, des coquelicots, du vent, de l’eau, des coquelicots, du vent, de l’eau. Du vent, de l’eau… Des coquelicots… Sa vue se brouille, les larmes coulent, cette fois encore, mais de douleur. Son oncle ralentit le pas, se retourne, la prends dans ses bras et l’élève haut dans le ciel, d’ailleurs, il est vraiment bleu, le ciel, si bleu qu’il en est irréel. Elle lève les bras pour toucher la voûte céleste, grogne un peu pour imiter le bourdonnement sourd d’un moteur d’avion, avant de rire à nouveau, à gorge déployée. Son oncle sourit aussi, une lueur malicieuse dans les yeux.

La main la fouille, profondément, elle a l’impression qu’on vient d’enfoncer un couteau et qu’on tourne, on tourne, sans pourvoir s’arrêter. Son oncle la fait tourbillonner, là-haut, près du ciel, il la fait monter puis descendre à une vitesse folle, les coquelicots virevoltent autour d’elle, tâche écarlate dans l’azur, lointain. Elle entend distinctement le grognement, maintenant, et ce n’est plus elle, non, c’est lui, cet homme, cette bête immonde, qui est sur elle, son souffle près de son cou, ses mains sur ses seins meurtris. Le couteau tourne en elle, l’écorchant, la brûlant, l’éreintant. Le couteau glisse mal, fait des va et vient meurtriers, une main se plaque sur sa bouche, écrasant un peu plus ses lèvres où les plaies sont ouvertes, à vif.

Le champ de coquelicots disparaît peu à peu de sa vision, et elle lutte, oh oui elle lutte, pour le faire revenir, pour échapper à ce monstre, là, en elle, qui va, qui vient, grognant, sans fin. Elle se décide à ouvrir les yeux. Elle le voit, sur elle, vision cauchemardesque, vision d’horreur. Ses traits sont déformés par la rage de ne pouvoir la posséder. Il croise son regard, la foudroie d’un battement de cil avant d’enfoncer profondément ses ongles dans sa chair. Elle, a ses yeux agrandis d’épouvante en reconnaissant son agresseur, cherchant à comprendre.

Les coquelicots reviennent à sa mémoire furieusement, emplissant les moindres recoins de ses souvenirs, imprégnant chaque parcelle de son corps de cette couleur rouge, saignante. Il est là, en elle, mais il ne rit plus, son visage est tordu par la haine, le désir, l’impuissance. Il est là, pétrissant ses seins, enfonçant ses ongles, soufflant bruyamment dans son cou, d’un souffle rauque de taureau, humide, chaud, putride, asphyxiant.

Et tandis que le couteau la pénètre, en bas, il en sort un vrai, plus haut, tranchant ainsi sa gorge blanche de pucelle, faisant frémir d’un gargouillis sanglant la plaie béante. Le rouge vire au noir. Elle ne voit pas son oncle essuyer la lame, avant de la replonger, encore et encore, dans ce même trou noir, avant de l’abandonner, déculottée, agonisante, au bord du chemin de terre où s’étendait, des années auparavant, un champ de coquelicots, rouge flamboyant.