27 décembre, 2005

Extrait de "Astrée"

Dans les beaux yeux d’Astrée on pouvait lire un poème. Parfois doux, parfois passionné ou même espiègle, mais toujours un poème. Le jour où ils m’apparurent cerclés de noir, je n’y ai vu que des larmes. Elle se tenait là, tête baissée, accroupie dans sa salle de bain. J’avais l’habitude de rentrer sans frapper, une bien mauvaise habitude, je sais. J’avais entendu du bruit. Le lavabo laissait échapper de l’eau chaude, très chaude, mêlée de savon, qui débordait. L’eau fumante s’écoulait partout dans la pièce, s’infiltrait sous les meubles et enveloppait Astrée d’une vapeur parfumée, écoeurante.

J’étais alarmé de la trouver là, en position fœtale, sans bouger, ses longs cheveux pendants cachant ses seins désespérément plats. J’allais ouvrir la bouche pour parler, pour la secouer, pour lui demander ce que tout cela signifiait. Toute cette eau, cette chaleur insupportable… Et ce savon… D’un mouvement vif, j’ai fermé le robinet qui continuait de couler. Astrée ! Je ne comprenais pas jusqu’à ce qu’elle lève les yeux vers moi en se frottant énergiquement ses cuisses dénudées de ses petits poings. Ses yeux vides étaient figés sur les miens. La frange de ses cils était collée sur ses paupières et des larmes brillaient avant de rouler, caressant ses joues un peu trop creuses à mon goût.

Là, j’ai poussé un cri en me précipitant vers elle. J’ai mis mes mains sur ses épaules en examinant ses yeux. Du beurre noir, bien étalé, lui dessinait des cernes macabres. Je m’en souviens très bien. Les beaux yeux d’Astrée prenaient des teintes rougeoyantes ; une minuscule veine avait éclatée. Tout autour, sa peau se parait d’un fard bleu pétrole. Toute poésie avait disparu alors, une indicible tristesse la remplaçait. Moi, je pleurais sans bruit.

Elle me regardait, hébétée, et je n’aurai su dire si elle me reconnaissait. C’est moi ! Astrée ! C’est moi… Tu te souviens ? Moi… Peine perdue. Elle se tenait là, grelottante malgré la chaleur ambiante, malgré toute cette eau savonneuse qui l’entourait et m’enivrait. Je l’ai soulevée, elle avait la légèreté d’une plume. Depuis toute petite, déjà.

Elle ne souffla pas un mot pendant que je l’emmenais dans sa chambre et la déposais sur son lit. Je frictionnais ses mains pour ramener un peu de vie dans ses membres. Elle me laissait faire, les yeux grands ouverts, le regard perdu dans le cauchemar de ses pensées.

- Qui t’a fait ça, Bon Dieu ! M’exclamais-je, des sanglots dans la voix.

Un filet de bave s’écoulait doucement d’un bord de sa lèvre inférieure. Je l’essuyais d’un revers de la main.

- Il faut que je me lave, dit-elle soudain.

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