07 mai, 2006

L'Ange Songe

La mariée était habillée de soie noire, légère, presque transparente. Son corps se balançait mollement en tournant d’avant en arrière, tic-tac lancinant. Ses yeux sombres ourlés de gris ressemblaient à deux perles scintillantes malgré son regard vitreux. Ses mains blanches contrastaient avec sa robe ; on aurait dit deux petits croissants de lune, seuls, perdus au loin.

La mariée de soie noire était légère, en voile transparent. Même lorsque son corps se balançait d’avant en arrière, ses jambes molles, elles, ne bougeaient presque pas. C’était surtout sa tête, voilée de dentelle sombre. Son corps était bercé par la clarté de la lune, bienveillante, maternelle. Le regard vitreux de la mariée m’obsédait. Si triste... Ses yeux gris fixaient sans les voir les ronces épaisses qui encerclaient les pieds de la statue de l’ange qui se trouvait là, perdue, depuis des années. Ses mains, deux petits croissants blancs, pendaient, inertes, le long de sa robe noire. Sentiment de solitude.

Un croassement strident, soudain, au loin. Je ne pouvais pas y prêter attention, et pourtant… Un second croassement, plus près, peut-être. Je n’en suis pas sûr, à présent. Je m’approchais de la mariée, elle ne m’entendait pas, ne me voyait pas, son regard vide fixait les ronces, les pieds de l’ange, la terre humide. Je sentais une odeur de mousse, de sous-bois, j’avais froid, des frissons, partout, de la fièvre, sans doute. La mariée se balançait au grès du vent, corsetée de noir, son voile pendant jusque sous ses pieds fins, aériens, très blancs. Même le ciel se zébrait de nuages obscurs, bas, comme supportant le poids d’un pénible secret.

Ma triste mariée semblait assoupie, presque souriante, pourtant je savais qu’elle ne l’était pas. Ses yeux m’obsédaient, le blanc vitreux fouillait sans les voir les pieds de la statue, petit ange blafard aux ailes légèrement cassées, au cou recouvert de mousse, aux épaules caressées par les faisceaux que renvoyait la lumière froide de la lune.

Plus je m’approchais, plus le croassement du corbeau devenait strident. L’ombre de la mariée n’en était plus une, je distinguais son corps enveloppé de soie noire, superposition de tissus, légèrement transparents, qui moulaient son corps de façon obscène, détail insignifiant, indécent, j’avais honte.

Elle ne portait pas de chaussures, ses pieds de marbre, légèrement sales, balayaient le sol herbeux du bout de ses orteils. Je m’approchais, me baissais, les caressaient du bout des doigts. Ils étaient froids comme la mort. Je me relevais pour toucher son visage aux joues creuses, sa peau satinée, douce, une peau de princesse, lisse, glacée, et si triste, si triste…

Ses yeux vitreux fixaient toujours les pieds de l’ange, obstinément. Je la pris dans mes bras, raide, froide, je la serrais fort tandis que mes mains pressaient son dos contre moi. Je coupais la corde à l’aide de mon couteau pour la libérer, tout doucement, sans bruit, fit glisser le corps dans mes bras, la posait par terre, consciencieusement, prenant garde à ne pas écraser sa robe de soie sous mes pas. Sa bouche rouge, d’un rouge vibrant, chaud, entêtant, envoûtant, était légèrement entrouverte, j’apercevais même ses petites dents pointues qui scintillaient sous la lune. J’osais à peine les embrasser, de peur de la souiller.

Et je restais là, couché sur ma mariée, son voile noir balayant son visage, cachant son regard sombre, vide d’expression. La solitude disparut comme elle était venue. J’étais là, couché sur ma mariée, heureux et triste à la fois, la tête posée sur sa poitrine froide, sur la soie si douce de sa peau, savourant l’instant précieux de ces fiançailles improvisées, éternelles. Je soupirais en caressant la profonde entaille de son cou.

Je ne la voyais pas, je l’imaginais juste.

Aucun commentaire: